« Ainsi, bien après la destruction par les flammes de la masse des livres taxés d’ “esprit non allemand”, la Ligue de combat pour la culture allemande (Kampfbund für deutsche Kultur ) annonce à nouveau, le 20 juin 1933, un “autodafé symbolique de la littérature de souillure et de salissure” (symbolischer Verbrennungsakt von Schmutz- und Schundliteratur ) : originellement prévu pour le samedi 17 juin 1933 sur la place de la Cathédrale, l’autodafé symbolique est reporté au mercredi 21 juin, pour la fête du Solstice dans le stade de l’université. Finalement, la fête du Solstice et le bûcher des flammes sont eux-mêmes reportés au samedi 24 juin. Dans le stade de l’université, ce soir-là, Rudolph Stadelmann et Martin Heidegger prononcent un discours devant les flammes. Que la pluie à nouveau présente ait empêché ou non de brûler matériellement des livres, les flammes devant lesquelles discourent Stadelmann, puis Heidegger, ont certainement, pour les participants, la valeur d’un autodafé symbolique de livres “non allemands”. Lorsque le recteur Heidegger s’exclame : “Flamme, annonce-nous, éclaire-nous, montre-nous le chemin d’où il n’y a plus de retour”, il ne peut ignorer la signification symbolique de ce bûcher. On ne saurait donc nier que Heidegger a participé à un bûcher symbolisant la destruction de l’esprit dit “non allemand”.
Emmanuel Faye, Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie. Autour des séminaires inédits de 1933-1935, Albin Michel, Paris, septembre 2005, p. 90 à 99. Les autres notes de bas de pages sont les siennes)