(Holdban, en hongrois cela veut dire “être dans la Lune”.)
Le jeu entre plusieurs noms apparaît dès que l’on découvre Cécile et ses publications dans les différents lieux de la Toile virtuelle tissée à l’aide des nouvelles technologies. Ce jeu de cache-cache a été cultivé avant tout par Walter Benjamin qui a même écrit un bref texte - “Agesilaus Santander” - où il ébauche une sorte de théorie du nom secret et du trébuchement (Agesilaus) qui s’apparentent au nom de l’ange que d’aucuns furent obligés de porter jusque dans les ténèbres de l’histoire du 20ème siècle.
Chaque nom propre referme les traces des sosies et des fantômes. Chacun porte dans son nom un sillon obscur de ce qui a eu lieu avant lui.
La lumière imprimée sur la couverture d’un livre de poésie dissimule la partie lunaire, animale, dangereuse de l’être.
Calliope, la muse aux pouvoirs chargés d’éloquence, ne peut rien pour le poète et Cécile le sait :
“ Solitude des seuils
solitude des rives”,
le poète est un enfant nu dans cette nuit comblée de ruines que les mots habitent comme des racines déracinées, des buissons calcinés, des oiseaux et des anges éphémères. Le poète habite le Possible, dit Emily Dickinson. Cécile a pris le chemin du poème ininterrompu qui n’est accessible que dans ses formes inachevées, brisées, rudes que l’on fait paraître dans un recueil.
Le pari du poète qui donne à lire ses poèmes est de faire en sorte que ce monde ne soit pas habité que par des imbéciles.
On se rencontre à la lumière des livres, ici ou ailleurs, comme des aveugles qui explorent l’espace, les visages et les objets sans jamais les voir en vrai.
De plus, Cécile introduit entre son prénom et son nom le A majuscule. Aleph. Lettre au multiple significations. Dans l’alphabet hébraïque, elle représente l’homme. Elle est devenue aussi un signe en mathématique, choisie pour représenter l’infini. Mais c’est aussi le symbole de l’eau d’en haut et de l’eau d’en bas où
“L’âme a son ressac
une calligraphie liquide
(…)
L’impossible géométrie
des vagues.”
Dans ce cosmos aux équilibres fragiles, Cécile invoque l’état fluide propre aux mots :
« Si je mâche mes mots, longtemps, infiniment
c’est pour qu’ils soient de l’eau
c’est pour qu’ils soient liquides, qu’ils soient rendus au bleu
c’est pour que tu y plonges
et que tu m’y retrouves. »
La ligne d’horizon du poète - comme l’amour - est constituée d’un bleu infini de possibilités qui, au fur et à mesure du temps, dansent, tranchent, s’éloignent, tombent, deviennent inaccessibles.
“Tu m’aimes? Alors tombe, tombe au fond de l’eau
avec les poissons.”
Les mots comme les oiseaux tirent leur chant d’une lame de fond sombre qui traverse l’écriture de Cécile :
“La lumière glisse sur leurs ailes, mais sous les plumes ils
portent l’ombre, et l’ombre les berce dans l’arbre.
Et c’est elle qui le soir, fait monter leur chant.”
L’apparition proche s’avère lointaine et le poète se perd dans le labyrinthe des ombres, alors qu’il a bon espoir que le poème lui sert de fil d’Ariane pour aboutir vers ce que Cécile appelle une
“Promesse de clarté jamais tenue”.
Chaque texte de Cécile fait état de cet égarement, voir de cet état post-égarement, qu’elle appelle “Poèmes d’après”. La forme imprimée des poèmes cache les versions raturées et les paysages perdus de l’enfance. Pendant la lecture, la muse blottie dans la main de Cécile conduit le lecteur vers des reflets clair-obscurs et sonores ouvrant sur ses propres pertes, secrets, deuils, espoirs, engagements. L’engagement de Cécile dans le poème est un acte vertical “sans trêve” comme dit Rilke.
L’engagement n’est pas un appel à la guerre, c’est même le contraire. C’est une feuille “ourlée d’étoiles” et d’espoirs envoyée, projetée comme une flèche ou comme l’aile du papillon vers le seuil des hommes libres qui rencontrent l’ange sans baisser les yeux. Devant “le sabot lumineux de l’ange”, l’égaré peut déposer son fardeaux pour être enfin
une simple voix
et tout se déplie
change
sur le chemin barbare
(…)
sa trace dénoue
montagne crête et sillon
(…)
ne pas se durcir
rester tendre, légère
comme les feuilles sur la roche
emprunter les ruisseaux
denses, mouvants de l’air
caresser la chair rude des cimes…
Dans la nuit, le chant épouse la danse
“ des mains qui peu à peu s’effacent
Dans une écriture d’ailes
Liant la terre aux étoiles.”
Merci, Cécile, pour cette traversée du ciel sur un chemin de terre; j’ai l’honneur de te donner la parole à toi, poète lauréat du Prix Calliope 2017.