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écrivain voyageur anthropologue curieux

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Maria Maïlat - écriture-lecture-traduction, poésie, anthropologie et philosophie


Des femmes faites fauves

Publié par Maria Maïlat sur 13 Août 2015, 11:44am

Le siècle dernier avait connu une petite brèche par où la folie a pu passer dans la liberté et sillonner les quartiers comme bon lui semblait. Dans certaines villes autour de la Méditerranée - comme à Nice - vivaient des fauves faits femmes. Des lionnes entourées de dompteurs-soignants depuis leur enfance, «suivies» par les assistants sociaux mais qui avaient su imposer l'art de l'évasion et la force de l’égarement. Parfois, elles s'évanouissaient dans un ultime geste d'au revoir, tendre, amoureux, nommé suicide. 

Mimmi était une belle lionne sur sa bicyclette jaune cabossée. Une énorme crinière rousse aux mèches tire-bouchonnées et des grands yeux très clairs, exorbités, composaient une tête de Gorgone qui aurait pu repousser les Huns s’ils s’avisaient de franchir la Promenade des Anglais. Elle trimbalait sur son petit porte-bagage la moitié d’un magasin de produits de nettoyage. Parfois, elle stoppait brusquement son vélo pour ramasser un boulon ou pour surveiller le fonctionnement d’un feu rouge et les comportements des piétons et des chauffeurs. Elle pouvait arrêtait le temps, une minute se dilatait jusqu'à engloutir les heures. Elle bloquait le temps et la rue en même temps. Dans son dos, un embouteillage monstre rugissait, pire qu'un dragon. Elle s'en fichait. Puis, elle se mettait à crier, à engueuler ceux qui klaxonnaient ou qui n’attendaient pas que le feu passe au vert avant d'appuyer sur le champignon. Parfois, elle campait devant la Mairie et appelait à la cantonade le maire et les élus en les traitant de tous les noms d’oiseaux. Le plus souvent, elle garait son vélo et se mettait à astiquer une porte cochère, à balayer et à laver l’entrée d'un immeuble et le trottoir. Elle avait pris en grippe les gens qui avaient besoin de jouer au maître en tirant brutalement sur la laisse due leur chien. Les crottes des. chiens, tantôt elle les ramassait soigneusement dans des sacs en plastique, tantôt elle les mettait dans un petit sceau, y rajoutait de l’eau, touillait longuement la mixture puis, à l’aide d'un petit balai, elle étalait ce drôle de fumier sur un mur lépreux, déjà sali par la pisse, la pollution et autres choses. Elle ne s’attaquait jamais aux murs ravalés, brillant d'ocre ou de jaune citron.

Quand elle remontait sur la selle minuscule de son vélo, ses fesses ressemblaient à d'énormes vagues tremblant autour de ses hanches. Pourtant son corps de lionne était agile, doué d'une gracieuse capacité de prendre des virages comme faisaient les motards aux rallyes. Parfois, elle roulait sans garder les mains sur le guidon. Elle avançait comme si les vents de la savane la portaient. Dès qu'elle quittait son vélo, les dépôts adipeux se boudinaient autour de ses mollets, de ses bras, ses seins remplissaient la rue et remontaient jusqu'au menton. 

Chaque lundi, elle lavait sa bicyclette, transférait les affaires du porte bagage dans le garage d’un de ses ex- qui vivait à la Trinité. Vêtue d’une robe bleue flottant autour de sa bicyclette, la crinière rousse, surplombée d’un minuscule chapeau et d’une grande couronne de fleurs en plastic, elle avançait. Son équilibre tenait au miracle. Elle sillonnait les beaux quartiers de Nice, de la Promenade des Anglais jusqu’en haut de Cimiez pour coller sur les clôtures, les poteaux et les panneaux de publicité un chapelet de petites annonces écrites à la main d’une calligraphie minuscule que l’on ne pouvait lire que si on s’appliquait vraiment : « jeune femme seule charmante obéissante en plein autonomie sachant faire le ménage le massage l’apéros aimant les animaux sauf les petits chiens qui crottent sur le trottoir cherche jeune homme brun de préférence célibataire avec ou sans AAH homme sérieux compte épargne aimant la poésie de maurice Carême que voici: j’aime ma mère et je ne dois surtout pas dire pourquoi. »

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